« Milo?  C'est à vous dans cinq minutes. » Milo expira une bouffée de fumée de sa cigarette. « J'arrive. » Le claquement de la porte lui apprit que l'organisatrice de la soirée étaient rentrée vaquer à ses occupations. Il était donc seul. Seul les bruits de la circulation venait troubler cet instant précieux où il était face à la solitude. Le musicien affectionnait particulièrement ces moments où il était au calme. Ca lui changeait de son quotidien assez mouvementé. Il tira une dernière fois sur sa clope avant de la jeter à terre et l'écraser du bout de son pied. Avant de rentrer, il leva les yeux vers le ciel étoilé, priant une quelconque divinité pour que cette soirée se déroule comme prévu.

« Est-ce que vous êtes prêt à passer une soirée de dingue?! » Pour toute réponse, le public enflammé acclama le groupe. Les hurlements en disaient long sur l'attente de ceux-ci. Milo jeta un regard en coin au chanteur, Zack, un sourire entendu sur ses lèvres. Oui, ils allaient tout donner ce soir. Comme si ce concert serait le dernier qu'ils avaient à jouer. Alors dans un pincement de cordes, Milo fit vibrer le son harmonieux de leurs premières compositions, mettant la foule en délire dans un état d'excitation totale. Ce que Milo préférait dans un concert, c'était ça. Ce sentiment de lien intime qui l'unissait avec le public. En deux heures de concerts, Milo avait l'impression de se mettre à nu devant eux, de partager avec un moment plus intense qu'il n'ait eu l'occasion de vivre. Ils partageaient la même chose, le même sentiment, la même douleur. Ils ne faisaient plus qu'un. En parfaite osmose. C'était certainement l'instant le plus magique qu'il puisse exister. Ce qu'il y a de différent entre les autres formes d'art et la musique, c'est qu'un écrivain, un peintre donne des émotions sans pour autant être auprès de leur public. Ils sont plus distants. Pour un groupe ou un chanteur, c'est tout à fait différent. Ils vivent le moment présent et ça, ça c'est certainement le plus extraordinaire dans la vie de musicien.

« Une bière s'il te plaît. » Assis sur un tabouret au bar, Milo regardait la foule de gens qui avaient participé à leur concert. Beaucoup retournaient, un sourire épanouis aux lèvres. A la vue de ces personnes, Milo ne pouvait que sourire bêtement. Sacré concert ce soir. Comme prévu, ils avaient tout donné. Comme prévu, le public avait été plus que réceptif. Bref, un concert comme on les aime. Sa bière posée devant lui, Milo s'empressa de la porter à ses lèvres. Le jeune homme inspira et expira profondément, un état de bien-être le parcourant. Rien ne pourrait venir perturber cette soirée plus que plaisante, rien.

Everyone knows that if you've got a brother,
you're going to fight.

Ca faisait un moment qu’il était allongé sur son lit à réfléchir, les yeux levés au plafond. Emha dormait juste à côté de lui, paisiblement. Cette nouvelle avait perturbé Samuel. Aujourd’hui, il avait le choix, le choix de défaire ce qu’il avait pu se passer ou ne pas le faire. Etre courageux ou être un fuyard. Il n’aurait jamais imaginer être face à ça aujourd’hui. Non, vraiment, il pouvait s’attendre à tout –parce qu’il avait beaucoup vécu- mais pas à ça. Ca faisait tellement d’année et un silence radio. Et voilà qu’en un seul instant, avec une seule fille il savait exactement où il était. Après tant d’années…il savait où il était. Il avait vu ses parents pleurer de nombreuses fois sans nouvelles de leur fils cadet. Il les avait vu le regarder avec des yeux toujours remplies d’amour, malgré ce qu’il avait pu faire. Comment avait-il pu continuer à vivre sérieusement ? Après tout ce qu’il avait fait ? Cette seule nouvelle avait eu effet d’une bombe en lui, ravivant ses vieux démons, ravivant ses anciennes conneries, son ancien lui. Il avait changé, il le savait. Mais s’il décidé d’y aller, comment pouvait-il s’autorisé un tel acte ? Il n’en avait pas le droit. Il avait été con, inconscient et stupide. Pourtant l’envie de faire quelque chose, d’agir enfin le rongeait de l’intérieur. Il se tourna un instant vers sa fille. Elle avait les traits de Jules, et la regarder dormir était une pure extase. Samuel sourit un instant avant de réaliser que sa propre fille ne connaitra jamais son oncle. Il soupira et finalement se remis sur le dos.
Il s’endormi un instant avant d’entendre les clefs de la porte s’ouvrir. C’était sans nul doute Neena. Souriant, il se leva sans réveiller sa fille et descendit. Il trouva sa petite amie, en train de se dévêtir et il lui sourit. S’approchant d’elle, il l’embrassa chaleureusement avant d’ajouter. « T’es sexy aujourd’hui » Elle sourit à sa réplique et ajouta qu’il n’était pas mal non plus. « Dis moi, tu pourrais garder Emha un moment…J’ai quelque chose à faire d’important. » Elle répondit sans aucun doute oui, et elle l’embrassa à nouveau avant de s’engouffrer dans la cuisine. Enfilant sa veste et quelques instants il claqua la porte. Il préféra marcher que de conduire pour continuer à méditer, mais c’était décidé, il y allait ce soir. Sinon, il le regrettera toute sa vie s’il le loupait, et il en était persuadé. Quelques instants plus tard, il était devant l’établissement en question. Poussant la porte, il ouvra la porte et il fit aussitôt bercé par la musique qui s’échappait de la salle principale. Entrant un peu plus, il sourit lorsqu’il le vit sur scène, jouer de la musique. Il avait toujours apprécié ça, et il se réjouit intérieurement qu’il ait pu vivre sa passion. Il arriva au bar et commanda une bière qu’il reçu quelques instants plus tard. Partant s’assoir sur une banquette du bar, il regarda son petit frère faire son show. Il n’avait pas changé, non il avait muri c’était certain, mais son visage était resté le même. Cependant, en le regardant réellement, toutes les rancœurs qu’avait Samuel envers lui refit surface. De la colère, de la frustration, de l’amertume. Peut être avait-il fait une erreur de venir ? A vrai dire, maintenant il le savait. Il n’aurait jamais du venir. A présent, son frère sortait de scène et alla demander à boire au bar. Bloqué parce qu’il ne pouvait pas se permettre d’être vu par son frère, il baissa la tête sur sa bière. Bordel, que fichez-t-il ici, il se le demandait bien.

Milo n'a jamais songé au passé. Il se l'est toujours refusé. Son enfance, il en parlait peu. Son adolescence, il l'a enfouie dans le plus sombre recoin de son esprit. Seul le présent a de la valeur. Songer à son passé, aux souffrances qu'il a vécues est la pire des tortures. Revoir le visage de son frère et les regards admiratifs de ses parents portés sur ce dernier ne font qu'éveiller en lui cette haine qu'il a longtemps voué à son frangin. Parce que oui, son passé rime avec la supériorité de son frère. Il était mieux en tout, toujours sous les projecteurs. Milo restait dans l'ombre d'un frère modèle. Et ça, ça le tuait. De jour en jour. Ne faisant qu'attiser cette haine et jalousie maladive. Est-ce qu'il regrette d'être parti? D'avoir tout laisser tomber ainsi? Certainement pas. Ce départ est la meilleure chose qui lui soit donné de faire. Ca lui a permis de vivre loin de l'excellence de son frère. De lui prouver que oui, lui aussi peut se faire un nom, lui aussi vaut quelque chose. De plus, il n'aurait jamais pu vivre aux côtés de celui qui avait tué celle qu'il aimait. Un accident de voiture. Morte sur le coup. Lui, sain et sauf. Le comble. Milo n'a pas pu le supporter. Il a pris la poudre d'escampette. Il lui arrivait parfois de se demander qu'elle serait sa réaction si un jour, il était amené à se retrouver face à Samuel. Il se plaisait à lui refaire le portrait, à lui dire ô combien il le détestait. Les scénarios avaient beau être systématiquement différents, ils rejoignaient tous le même chemin : Milo était enfin soulagé d'avoir pu se défouler sur son frère. Si c'est pas beau l'amour fraternel!

Quelle ne fut pas sa surprise lorsque son regard rencontra la silhouette d'un homme qu'il connaissait que trop bien. Milo posa furtivement ses yeux sur son verre. Qu'est-ce qu'il foutait ici? Qu'est-ce que son putain de frère faisait à Rio? Dans ce bar? A son concert? Lentement, ses yeux se reposèrent sur Samuel. Pas de doute, c'était bien lui, courbé sur le comptoir, cherchant visiblement à se cacher de quelqu'un. A cette pensée, Milo ne put s'empêcher de sourire satisfait. Après toute ces années, il n'osait même pas s'approcher de lui. Le guitariste resta pendant quelques minutes à sa place initiale, se délectant de la vue de son frère. Lorsqu'il jugea le moment bon, il se leva, sa bière à la main, un sourire faux peint sur le visage. Il vint s'installer sur le tabouret libre, aux côtés de son frère. Milo luttait littéralement contre l'envie de lui décocher une droite, contenant sa colère. Le temps n'en était pas encore à en venir aux mains. Les Grayson sont des personnes civilisées voyons. « Alors comme ça, on ose même pas venir saluer son frère. Tss, tu me déçois Samuel. » Une lueur mesquine brillait dans le fond des yeux du cadet. Les hostilités étaient lancées.